Bad(e) Intention
Stuttgart, an de grâce 1975. Voilà maintenant une décennie que le Roadster de Gmünt à trépassé, ouvrant la voie à l’intrépide 911. Ce coupé sportif à su s’imposer immédiatement dans le paysage automobile, grâce à une gamme complète, un palmarès impressionnant en compétition, et une édition Carrera RS chirurgicale. Ne manquait plus qu’un modèle capable de la hisser au rang d’icône. Cette rockstar teutonne, machiavélique, repue de mauvaises intentions allait voir le jour, sous un blase de bourrin : la 930 Turbo…

>Story<
Comme bien souvent, les plus belles choses de la vie arrivent par hasard. La sérendipité, ou l’art d’inventer un truc formidable sans y avoir pensé une seule seconde. A l’image d’un Doc qui découvre le convecteur temporel alors qu’il accroche une horloge au mur de ses commodités, Porsche conçoit la 930 Turbo sans aucune conviction, cherchant simplement à valider son homologation en Groupe 5. Ceci dans le seul but de passer la barre de 500 exemplaires imposés par la FIA, et de pouvoir engager sa nouvelle 935 en compétition. Mais contre toute attente, lors de sa présentation au Salon de Paris 1974, la 930 Turbo va déclencher un cataclysme, une véritable bombe nucléaire, faisant noircir toutes les unes des revues spécialisées de l’époque. L’engouement de la presse est tel, que Porsche, emporté par le mouvement, n’a d’autres choix que de revoir ses objectifs de production à la hausse. En décembre 1975, la 930 Turbo compte déjà 400 unités vendues, tandis que le cap des 1000 exemplaires est franchi en mai 1976. Rapidement, le constructeur allemand doit s’adapter. Son expérience et sa rigueur vont faire mouche, donnant naissance à une des voitures de sport les plus mythiques du monde : La 930 Turbo, la vraie, l’unique, l’authentique. La toute première 911 suralimentée de l’histoire…
>Extérieur<
La 930 est une 911. Elle en conserve le même physique, qui lui vaut le surnom de « Crapaud » depuis sa création. Une face avant avec des yeux globuleux, surplombant un crâne légèrement plongeant lui confère une petite bouille bien sympathique, tandis que l’arrière, très imposant, dont les ailes ont été outrageusement élargies, trahissent la musculature hors-norme de la bête. Vue de dessus, la ressemblance avec un batracien est encore moins contestable. Mais attention, point question ici de fable gentillette, car la créature est terrifiante et transpire la sauvagerie. De sa silhouette générale, se dégage un élément bien particulier, qui entérine le moindre débat : Son imposant aileron arrière, surnommé le « Whale Tail » par la communauté Porschiste, en référence à la queue d’une baleine. Il est à lui seul la principale attraction visuelle de l’auto. Si jusqu’ici, la firme s’était montrée relativement pondérée avec sa discrète « Duck Tail » (litt. Queue de canard) issue de la 911 Carrera RS, personne n’avait encore jamais vu pareille excroissance sur une voiture. Pour terminer le tableau, la créature repose sur de divines jantes Fuchs bi-ton, spécialement conçues pour la 911s de 1967. Porsche commercialise la 930 avec une garantie anticorrosion de 6 ans d’office. Pour ce faire, toute la caisse reçoit un traitement spécial au Zinc.
>Intérieur<
Une fois à l’intérieur, le cockpit se révèle très spartiate. La planche de bord est exagérément rectiligne, et l’agencement austère répond à merveille aux standards de conception germanique de l’époque. Aucune fioriture ne se manifeste, et la rigueur de l’assemblage est déjà indiscutable, en parfaite adéquation avec la qualité des matériaux employés, bien que ces derniers soient loin d’être l’apanage de la noblesse. Contre toute attente, Porsche nourrit des ambitions bien plus élevées pour son nouveau joujou que pour sa précédente Carrera RS. La 930 Turbo sera une GT, dotée de tout l’attirail qui vient avec : Vitres électriques et pare-brise teintés, sièges également électriques, habillés de cuir et chauffants, antibrouillards, essuie-glace arrière, gicleurs de phares, climatisation, autoradio et j’en passe… Les fesses sagement posées sur l’assise conducteur, le panorama offre une vue sur un joli volant tri-branches spécifique à la Turbo, orné de l’écusson Stuttgarter. Il laisse apparaître au second plan une instrumentation presque complète, avec jauge à carburant et niveau d’huile réunis dans un premier cadran, puis température moteur et pression d’huile dans un second cadran. Pile dans l’axe du volant, un énorme compte-tour dont la redzone s’étend de 6700 à 7000rpm, assiste le pilote lors de ses virées barbares. Directement à droite, se trouve un tachymètre des plus explicites : Plafonné à 300kmh, en 1975, ça calme d’entrée de jeu. Et puis tant qu’on y est, Porsche a jugé bon de le graduer à coup de 50kmh, sous-entendu que les steps intermédiaires vont défiler tellement vite, que leur présence en devient inutile ! Mais l’ultime détail, c’est le gap entre 100kmh et 300kmh qui est rétroéclairé par une sorte de toboggan lumineux, insinuant que l’aiguille va se planter tout droit dans la boîte à gants en moins de temps qu’il ne faut pour le penser. La grappe de cadrans se termine à l’extrême droite par une horloge des plus traditionnelle. L’absence ô combien surprenante d’un mano de suralimentation vient amputer le score final, qui avait tout pour faire un Perfekt !
>Moteur<
Connaissez-vous le théorème de Porsche ? Il démontre que l’utilisation du terme « Turbo » associé à n’importe quel modèle de la marque, ne peut aboutir qu’à la sauvagerie la plus primitive. Une boucherie, en somme, issue de la folie des ingénieurs, et saupoudré d’un soupçon d’irrationalité. Cette 930 me fait sentir l’âme d’un poète… Quoi qu’il en soit, avec ce qui se cache sous son capot arrière, on est pas loin de la vérité. Le monstre est mû par le traditionnel boxer maison, un six cylindres à plat de 12 soupapes à double SOHC. Pour l’occasion, le constructeur a mis les petits plats dans les grands, en augmentant la cylindrée à 2994cm³ mais surtout en greffant un turbocompresseur pour la première fois de l’histoire dans une de ses voitures de série. L’escargot est un KKK soufflant 800gr de pression dans les bronches du Flat6. Pour améliorer la fiabilité, Porsche à recours à un carter vilo full aluminium, le bloc est forgé et les cylindres sont traités au Nikasil. Le tout est abreuvé par une injection mécanique Bosch K-Jet et développe 260cv, – très très très énervés – à 5500rpm pour un couple de 343Nm. Baptisé 930/50, le bouilleur est capable d’emmener son équipage à 250kmh grâce à une boîte manuelle archaïque de 4 vitesses ultra-renforcée, tout ce beau petit monde étant placé en porte-à-faux arrière. L’absence d’un cinquième rapport rend l’étalonnage impressionnant puisque le premier tire à plus de 80kmh, le second à près de 140kmh et le troisième au-delà des 200kmh !!! Malgré ses rapports interminables, la 930 parvient à claquer le 0-100kmh en 5″5 et le kilomètre en moins de 25 secondes.

Le 930/50. 6 cylindres à plat 3.0L 12v de 260cv
Nom | 930 Turbo | 930 Turbo 3.3 | 930 Turbo 3.3 | 930 Turbo 3.3 |
Millésime | 1975-1978 | 1978-1983 | 1983-1988 | 1989 |
Type Mine | WP0x | WP0x | WP0x | KP0x |
Fiscalité | –cv | 18cv | 18cv | 18cv |
Code moteur | 930/50 | 930/60 | 930/66 | 930/68 |
Architecture | F6 2xSOHC | F6 2xSOHC | F6 2xSOHC | F6 2xSOHC |
Cylindrée | 2994cc (3.0L) | 3299cc (3.3L) | 3299cc (3.3L) | 3299cc (3.3L) |
Aspiration | Turbo (0.8b) | Turbo (1.0b) | Turbo (1.0b) | Turbo (1.0b) |
Soupapes | 12v | 12v | 12v | 12v |
Implantation | Porte-à-faux arrière | Porte-à-faux arrière | Porte-à-faux arrière | Porte-à-faux arrière |
Gestion | K-Jetronic | K-Letronic | Motronic | Motronic |
AxC | 95,0 x 70,4 | 97,0 x 74,4 | 97,0 x 74,4 | 97,0 x 74,4 |
PMax | 260cv @5500rpm | 300cv @5500rpm | 330cv @5500rpm | 282cv @5500rpm 330cv @5500rpm |
CMax | 343Nm @4000rpm | 412Nm @4000rpm | 431Nm @4000rpm | 432Nm @4000rpm |
RMax | 7000rpm | 7000rpm | 7000rpm | 7000rpm |
Type | (RWD) Propulsion | (RWD) Propulsion | (RWD) Propulsion | (RWD) Propulsion |
Boite | BVM4 | BVM4 | BVM4 | BVM5 |
Pneus | Av 205/50 VR15 Ar 225/50 VR15 | Av 205/50 VR16 Ar 225/50 VR16 | Av 205/50 VR16 Ar 225/50 VR16 | Av 205/50 VR16 Ar 245/50 VR16 |
Freins avant | Disques ventilés 284mm | Disques ventilés perçés 304mm | Disques ventilés perçés 304mm | Disques ventilés perçés 304mm |
Freins arrière | Disques ventilés 290mm | Disques ventilés perçés 309mm | Disques ventilés perçés 309mm | Disques ventilés perçés 309mm |
VMax | 251kmh | 257kmh | 278kmh | 260kmh |
0-100 | 5″5 | 5″4 | 4″6 | 5″2 |
80-120 | 3″2 | 2″9 | — | — |
400m | 14″1 | 13″4 | 13″7 | — |
1000m | 24″9 | 24″5 | 24″0 | — |
Poids | 1140 kg | 1300 kg | 1300 kg | 1300 kg |
RPP | 4,4 cv/kg | 4,3 cv/kg | 4,3 cv/kg | 4,3 cv/kg |
RPL | 87 cv/L | 91 cv/L | 91 cv/L | 91 cv/L |
Conso mixte | 12,5 l/100 | 12,5 l/100 | 12,5 l/100 | 12,5 l/100 |
Tarif Neuf (de base) | 162 700 frs | 274 000 frs | — — frs | — — frs |
Cote 2017 | ~180 K€ | ~130 K€ | ~130 K€ | ~160 K€ |
>Châssis<
A l’inverse de son architecture avec moteur en porte-à-faux arrière, le châssis du Crapaud-Turbo reste assez classique. On y retrouve des suspensions avant de type pseudo McPherson et des bras obliques à l’arrière. L’amortissement est fournit par le spécialiste Bilstein. Le freinage, intégralement à disques, est celui de la Carrera RS 2.7. Avec ses 284mm à l’avant et ses 290mm à l’arrière, il montre la plus grande peine du monde à stopper les 1140kg de la 930 Turbo. Pire encore : L’absence d’assistance au freinage, en complète opposition à la puissance démesurée de cette Porsche, renforce l’impression d’avoir un freinage à tambours du siècle dernier. Dès lors qu’on sollicite un peu trop leur endurance, le mordant brille par son absence et le moindre blocage de roues est inenvisageable. Ça tombe bien, car l’ABS ne figure pas sur la fiche technique ! On admettra sans difficulté les racines typées « prototype » de cette première génération. Heureusement que la monte des pneumatiques arrière a été généreusement augmentée en 225/50 VR15, ce qui peut se révéler salvateur dans certaines situations compliquées… L’avant, avec sa crémaillère des plus standard, se montre beaucoup trop fuyant. A cause de l’équilibre si particulier de l’auto, les remontées d’informations ne sont vraiment pas son fort. Posées sur du 205/50 VR15, seules, les Fuchs avant ont la lourde tâche de gommer le flottement du train avant. Championne du sous-virage, la 930 Turbo donne la sensation d’être en wheeling permanent. Tous ces défauts ne suffiront pas à dégoûter le pilote, car la moindre accélération aura l’effet d’un saut en élastique horizontal, redonnant le sourire jusqu’au prochain freinage.
Au-delà de la fatigue physique de conduire une telle auto, l’épuisement mental est aussi à considérer, tant les passages de la joie à la terreur, au rythme des entrées et sorties de courbes sont omniprésents.
>Évolutions<
930/55
En 1977, Porsche va apporter quelques modifications à son nouveau bébé. Nommée 930/55 de manière officieuse, car il s’agit toujours du millesime 75, la 930 Turbo va (enfin) se voir greffer un mano de suralimentation sur le compteur. Gradué à 1 bar, il prend place en plein axe du volant, à l’intérieur même du compte-tours. Les quatre Fuchs on bu de la soupe – ou forcé sur les Bretzels – et passent en 16 pouces. 1977, c’est aussi l’arrivé de la mythique décoration M42 Martini. L’option est vendue à 200 exemplaires et ne concerne que les 930 Turbo blanches.
930/60
En 1978, la firme allemande revoit sa copie en profondeur. Le nouveau 930/60 voit sa cylindrée grimper à 3299cm³, il reçoit un énorme échangeur air/air et sa suralimentation passe à 1 bar. Gonflé à bloc, il atteint désormais les 300cv à 5500rpm et 412Nm sont disponibles dès 4000rpm. La VMax officielle est donnée pour 257kmh. Pour loger le nouvel intercooler, l’aileron a lui aussi été repensé. Avec deux ouvertures, entièrement redessiné, et légèrement plus haut, il est toujours aussi imposant. Les amateurs le baptiseront immédiatement « Tea Tray » en référence à un plateau de thé ! Comme la première 930 Turbo avait la réputation de freiner aussi bien que des V-Brakes de BMX, les ingénieurs de Porsche n’ont pas polémiqué plus de cinq minutes : Elle adopte les freins de la 917 dans la foulée. Le problème inverse se pose à présent, car l’auto aura une fâcheuse tendance au blocage de roues jusqu’à la fin de sa vie, obligeant une certaine gymnastique du pied droit. Cependant, à choisir entre trop de frein et pas du tout, on préfère en avoir trop !
Flachbau
En 1981, Porsche va se laisser séduire par le mouvement Slantnose/Flatnose. Cette mode lancée par Kremer ou encore Ruf, consiste à transformer la face avant des 911 avec un nez complètement ramassé, à l’image de la 935 de piste. Ainsi naît officiellement la 930 à nez plat, dite « Flachbau ».
930/66
L’injection Bosch K-Letronic débarque sur la 930 Turbo en 1983. Au-delà des progrès apportés par cette gestion en terme de pollution, Porsche est maintenant capable de proposer une version 330cv de la 930. L’agrément de conduite et les performances sont encore accrus, avec un couple de 431Nm. La version 300cv adopte la double sortie d’échappement à l’arrière gauche, tandis que la 330cv est reconnaissable par 2x double-sorties de chaque coté. Le monstre, toujours équipé de sa boîte 4 rapports ultra longue, propulse les passagers à 278kmh. Le 0-100 est bouclé en 4″6.
930/68
Le modèle 1986 signe le retour de la 930 Turbo sur les marchés américains et japonais. Elle y était bannie depuis 1981 et le durcissement des normes environnementales. Pour ce faire, une toute nouvelle gestion Bosch Motronic fait son apparition. Les versions JDM et US sont bridées à 282cv tandis que les EUR conservent leur puissance nominale. Les feux de brouillard sont maintenant intégrés au bandeau arrière et la garantie anticorrosion est portée à 10 ans ! L’année suivante, les versions Targa et Convertible seront enfin déclinées aux États-Unis.
SlantNose
Toujours en 1986, la version Flachbau est exportée aux USA. Nommée Turbo SE (SlantNose Edition), elle embarque d’office la version 330cv du bouilleur. L’année 1988 verra la SlantNose standard de 300cv apparaître au catalogue, un peu moins exclusive, mais surtout bien moins onéreuse.
930/G50
En 1989, Porsche déploie son ultime mise à jour avant la mise à mort de la 930 Turbo : La boîte de vitesse Getrag G50 à 5 rapports nettement mieux étagés et son embrayage entièrement hydraulique. Cette boîte emmène la bête à 260kmh. Elle est reconnaissable à ses diodes rouges clignotantes intégrées aux loquets de portière. La 930 Turbo tire sa révérence au troisième trimestre 1989 après 15 ans de bons et loyaux services, et laisse place à la nouvelle 964…
>Généalogie<
A l’échelle des 911, la 930 en est la seconde génération. La toute première fût la 901 qui n’a jamais été suralimentée :
Cependant, la 911 Turbo étant devenue un modèle tellement adulé, qu’on peu alors considérer sa propre lignée, dont la 930 Turbo en est la digne pionnière :
Porsche annonce la prochaine 992 Turbo pour 2019. Même si on ne connait pas encore officiellement la fiche technique, tout porte à croire que la puissance dépassera allègrement les 600cv…
Mise à jour du 08.04.2020 : Porsche annonce finalement la 992 Turbo S de 650cv !
>Rivales directes<

> Conclusion<
La Porsche 930 Turbo première du nom, est une brute à l’ancienne. Galbée à outrance, elle étonne dès les premiers tours de roues par la malléabilité insoupçonnable de son six cylindres à plat. Mais c’est une fois sorti des grands boulevards métropolitains, que le bouilleur devient une bête enragée. Passés les 3500rpm, la finesse laisse place à la brutalité, sans aucune transition. L’effet on/off causé par le lag interminable de la suralimentation offre une déferlante de couple spectaculaire, et la longueur des rapports ne joue clairement pas l’apaisement. Si l’on ajoute à l’équation un châssis totalement sous-dimensionné et une direction approximative, on obtient une véritable machine à sensations dont le meilleur adjectif pour la qualifier ne sera jamais qu’un euphémisme. L’upsizing à 3.3L de 1978 sera le détonateur final, qui propulsera la 930 Turbo en orbite, dans le cercle très fermé des autos légendaires.
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